Probiotiques et allergie : une nouvelle voie ?

Probiotiques et allergie :
Une nouvelle voie ?

Les maladies allergiques ne cessent de se développer depuis quelques décennies. Qu’il s’agisse des allergies respiratoires telles que la rhinite saisonnière ou l’asthme, des allergies cutanées, dermatite atopique du nourrisson et eczéma, ou encore des allergies alimentaires ou des intolérances alimentaires, ces maladies touchent un grand nombre de personnes dès le plus jeune âge.

Au même titre que pour les maladies de civilisation telles que le diabète, le surpoids, les maladies cardio-vasculaires… Il semble que le stress, les modifications du rythme de vie, les changements du mode alimentaire participent de façon importante à ce que l’on appelle les maladies à caractère inflammatoire non infectieux dont l’allergie fait partie.

L’allergie se définit comme une réaction exagérée et inadaptée de l’organisme en réponse à contact à certaines protéines (antigènes) qui font réagir notre système immunitaire et que l’on nomme les allergènes. Bien qu’il y ait de nombreuses manifestations de l’allergie (rhinite allergique saisonnière, asthme, dermatite atopique, eczéma, allergies alimentaires…) Elles ont toutes en commun une réaction immunitaire et une réponse inflammatoire inappropriée et mal régulée.

La réaction allergique s’opère en plusieurs étapes : une sensibilisation initiale et silencieuse de notre organisme en contact avec l’allergène, puis une réaction immédiate du système immunitaire et enfin une réaction retardée avec mise en place une réaction inflammatoire.

Ce modus operandi de la réaction allergique nécessite donc 3 mécanismes différents mais complémentaires :

1) Une mise en contact avec les protéines-allergènes : en cas d’exposition excessive aux allergènes, en cas de perméabilité exacerbée de nos filtres et nos barrières naturelles (notamment de nos muqueuses), cette première phase peut être sur- exprimée.

2) Une réaction immédiate faisant intervenir les cellules immunitaires, notamment de nombreuses populations de lymphocytes (globules blancs) ainsi que la libération de médiateurs chimiques tels que les cytokines et la libération d’immunoglobulines (IgE le plus souvent, parfois IgG). Une perte de la régulation de différentes populations de lymphocytes de type T peut favoriser la réaction allergique.

3) La réaction retardée inflammatoire se développe plus volontiers lors d’un déséquilibre des différentes familles de messagers chimiques : les  médiateurs lipidiques de l’inflammation. Dans un contexte de déséquilibre en acides gras essentiels (déséquilibre de la famille oméga 6/oméga 3) ou en cas de mauvaise régulation des cytokines pro inflammatoires, cette réaction se manifestera de façon plus intense et durable.

À chacune de ses 3 étapes, notre flore bactérienne intestinale joue un rôle majeur.(1)

Depuis quelques décennies à peine, la découverte de nouveaux rôles de l’écosystème intestinal permet de mieux comprendre le développement des manifestations allergiques. L’écosystème intestinal se compose en effet d’une flore bactérienne riche et diversifiée mais très stable, d’une barrière muqueuse jouant un rôle de filtre sélectif et d’un abondant système immunitaire sous muqueux (système GALT Gut Associated Lymphoïd Tissu) représentant à lui seul 60 % des cellules immunitaires de notre organisme.

Des travaux récents confirment le rôle essentiel de la flore bactérienne de l’intestin dans l’initiation, le développement, la maturation et la régulation du système immunitaire dans son ensemble : chez les individus présentant des manifestations allergiques, la flore intestinale présentait de nombreuses différentes de composition par rapport à celle des individus sains non allergiques. La flore d’enfants avec dermatite atopique contient plus de bactéries de type Clostridium, bactéroïdes et entérobactéries par rapport aux sujets sains contenant davantage de bifidobactéries et de lactobacilles. Par ailleurs, on sait que l’allaitement maternel apporte au nouveau-né une protection certaine vis-à-vis des manifestations allergiques à venir. Or, le lait maternel contient davantage de bifidobactéries dont l’apport chez le nouveau-né protégerait de l’allergie.(2)

=> Ces premières observations ont clairement établi un lien entre un déséquilibre de la flore « saine » et la prévalence des maladies allergiques et inflammatoires. Or, les conditions de vie moderne, le stress, les changements alimentaires, la prise de médicaments et antibiotiques… sont autant de situations qui perturbent profondément et durablement l’écosystème intestinal et la flore bactérienne.

Inversement, le réensemencement de l’intestin par des bactéries dites « probiotiques » a montré un rôle important pour la prévention ou le rééquilibrage de cette Flore. L’apport de probiotiques a donc été évalué dans la maladie allergique : l’apport de bifidobactéries et de lactobacilles sous forme de préparation probiotique, a été associé à une réduction des manifestations allergiques chez les bébés, les enfants et les adolescents.

Une étude finlandaise a montré que l’administration de probiotiques type Lactobacilles Rhamnosus GG chez la mère ou le nouveau-né avait réduit de plus de 50 % les manifestations allergiques.(3) Chez des enfants plus âgés, une étude japonaise montrait également des effets favorables sur les rhinites allergiques et sur certaines dermatites atopiques par l’apport de probiotiques riches en Lactobacilles acidophilus(4,5)

Bien que les mécanismes d’action ne soient pas encore tous connus, les auteurs ont mis en évidence plusieurs mécanismes d’action possibles pour certaines souches de probiotiques :

– Production de cytokines, (Il 12, IFNγ, IL1β), médiateurs chimiques modifiant les réactions des cellules immunitaires qui stimulent préférentiellement les populations de lymphocytes de la voieTh1. Ces médiateurs sont impliqués dans la défense anti-infectieuse et  antibactérienne et réduisent l’expression trop abondante de lymphocytes de type Th2 que l’on retrouve sur exprimée chez les enfants et patients allergiques. 

– Modération de l’hyper production lymphocytaire de type Th2 : dans la réaction atopique, cette population de lymphocytes est surexprimée ce qui aboutit à la production intense d’immunoglobulines impliquées dans la réponse allergique ; les IgE. Des travaux antérieurs ont montré que les enfants élevés à la campagne par rapport aux enfants élevés en ville, de façon trop « aseptisée», présentaient moins d’allergies et avaient une réponse Th2 contrôlée (= « théorie hygiéniste »). Il a été mis en évidence l’influence de « bonnes bactéries infectieuses » nécessaires à la mise en place d’un système régulateur : des lymphocytes « T régulateurs » ainsi stimulés par ces bactéries amies peuvent rééquilibrer les populations Th1 / Th2 et réduire les réactions allergiques.

– Stimulation de cellules particulières, les cellules dendritiques, tapissant la muqueuse intestinale et véritable coordinateur de la réponse immunitaire. Ces cellules produiront de l’interleukine 10, une cytokine aux effets régulateurs. 

– Modulation de la réponse immunitaire elle-même : certaines bactéries probiotiques, à l’instar de nos propres bactéries chez les sujets sains, sont susceptibles de se lier à des récepteurs impliqués dans la régulation de la réponse immunitaire et inflammatoire (Toll like récepteurs TLR 9, TLR 2, NOD 2, PPAMs…) . Une fois activées par des éléments de surface, certaines souches probiotiques vont déclencher une réponse immunitaire non pathogène et non inflammatoire jouant un véritable rôle de modérateur vis-à-vis de l’explosion inflammatoire. En inhibant l’activité d’un puissant antigène inflammatoire bactérien, le LPS, certaines souches probiotiques réduisent ainsi une molécule très fortement inflammatoire, le Nf κb.

– Enfin, certaines souches de bactéries probiotiques participent également à la bonne santé de la barrière intestinale, de son rôle de filtre sélectif limitant le passage des antigènes-allergènes éventuels. Il a été montré que certaines souches étaient susceptibles de synthétiser et sécréter des métabolites directement anti-inflammatoires.

Mais toutes les souches de probiotiques ne possèdent pas ces effets particuliers. Les études comparatives entre différentes souches ont montré que les effets protecteurs ou modulateurs cités précédemment dépendent des souches sélectionnées (on parle ainsi d’effets « souche-dépendant »). 

De la même façon, les études d’efficacité clinique sur les patients allergiques mettent en évidence que certaines souches de bactéries probiotiques donnent des résultats significatifs et encourageants dans la prise en charge des patients allergiques (souches Lactobacilles Rhamnosus GG, Lactobacilles Paracaséï NC2461, Lactobacillus helveticus R0052, Lactobacillus rhamnosus R0011 ou encore Lactobacillus rhamnosus R0343…)

=>Des améliorations cliniques ont pu être observées dans des manifestations différentes telles que la conjonctivite allergique, la rhinite saisonnière, la dermatite atopique du nouveau-né, l’asthme, certaines allergies ou intolérances alimentaires (lactose)…

Les recherches qui s’appuient sur ces travaux très encourageants s’orientent donc vers la sélection de souches probiotiques particulières, susceptibles d’induire une meilleure étanchéité des barrières protectrices, un rééquilibrage de la flore bactérienne, une réponse immuno-modulatrice (le plus souvent pro lymphocytes Th1), une diminution de la réponse lymphocytaire Th2, une stimulation des lymphocytes régulateurs et une modulation voir régulation de la réponse inflammatoire secondaire.

La voie des probiotiques, tant dans la prévention des maladies allergiques chez les sujets à risque, les familles atopiques, que dans la prise en charge des patients allergiques s’avère donc très prometteuse. Elle trouve sa place dans la prise en charge globale de l’allergie à côté de thérapeutique nutritionnelle et écologique globale ou médicamenteuse.

Le conseil, la prescription et la délivrance de produits adaptés au terrain allergique doit faire appel au conseil d’un professionnel de la santé, médecin ou pharmacien.

Pr. Olivier Coudron

1. Kalliomaki M., Isolauri E. – Role of intestinal flora in thedevelopment of allergy. Curr. Opin. Allergy Clin. Immunol.,2003, 3, 15-20.

2. Saarinen U.M., Kajosaari M. – Breastfeeding as prophylaxis against atopic disease: prospective follow-up study until 17 years old. Lancet, 1995, 346, 1065-9.

3. Kalliomaki M., Salminen S., Arvilommi H., Kero P.,Koskinen P., Isolauri E. – Probiotics in rimary preventionof atopic disease: a randomised placebo-controlled trial. Lancet, 2001, 357, 1076-9.

4. Ishida Y., Nakamura F., Kanzato H., Sawada D., Hirata H., Nishimura A., Kajimoto O., Fujiwara S. – Clinical effects of Lactobacillus acidophilus strain L-92 on perennial allergic rhinitis: a double-blind, placebo-controlled study. J. Dairy. Sci., 2005, 88, 527-33.

5. Rosenfeldt V., Benfeldt E., Nielsen S.D., Michaelsen K.F., Jeppesen D.L., Valerius N.H., aerregaard A. – Effect of probiotic Lactobacillus strains in children with atopic dermatitis. J. Allergy. Clin. Immunol., 2003, 111, 389-95.